Produire des compétences ou des diplômés ?
En mettant en œuvre en 2005 le système Licence-master-doctorat (LMD), l’Algérie aurait-elle été contrainte de se soumettre à une clause «concomitante» à l’accord d’association avec l’UE, où ce système était en vigueur bien des années auparavant ? Ou bien cherchait-on à satisfaire les caprices de Abdelhamid Temmar, alors ministre des Participations et de la Promotion des investissements, qui jurait ses grands dieux qu’il pouvait sauver d’un effondrement certain l’industrie algérienne ? L’heure des bilans a sonné. Des universitaires et spécialistes en parlent.
Censé réunir un ensemble d’écosystèmes favorisant l’innovation et un haut niveau de créativité, donc reposant essentiellement sur le triptyque «universités-laboratoires de recherche-entreprise», le LMD avait en réalité été introduit dans notre pays pour «répondre à la politique de ré-industrialisation de Abdelhamid Temmar, basée sur les clusters, tirés de l’expérience sud-coréenne. L’enjeu pour Temmar était de sauver le tissu industriel algérien.
L’université avait alors commencé à implanter le LMD et l’industrie n’a malheureusement pas pu redémarrer», explique d’emblée Abdellah M., professeur de finances à la faculté des sciences économiques (Université Badji Mokhtar de Annaba). Pour lui, le climat n’était pas propice à l’introduction d’un nouveau système, qui plus est inadaptable au contexte socio-économique algérien car «basé sur trois piliers : l’Université comme institution de recherche, l’Entreprise comme partenaire (lieux de création de richesses) et l’Etat comme régulateur».
Mieux, conformément au modèle anglo-saxon sur lequel a été calqué le système gradué, post-gradué et doctorat «made in algeria», la pratique économique a pour assise les clusters, cet ensemble d’entreprises, de groupes structurés, qui ont besoin de recherche, «la survie des clusters tient à l’innovation et la recherche. C’est pourquoi ils sont obligés de financer des recherches avec les universités. La finalité étant la création d’une élite capable de créer des idées nouvelles», explique l’économiste.
D’où l’adoption d’une approche par compétence aux fins d’aboutir à une formation qualifiante, au lieu de celle diplômante qui était assurée par le système classique. «Il devrait se construire une relation étroite entre l’université et les clusters, aussi bien dans la conception des programmes de formation, dans les stages pratiques ou les profils de poste, soit l’implication de l’entreprise qui est partie prenante dans la formation. L’étudiant, au terme de ses études, doit être opérationnel au premier jour. Aujourd’hui, l’université américaine produit des compétences et non plus des diplômés. Croire que tout ceci était ou est transposable au contexte algérien relèverait de l’ineptie», juge le professeur.
Pis, l’investissement dans ce concept de l’éducation supérieure n’a pas porté ses fruits car incapable de générer des capacités de recherche-développement conséquentes, ajoute-il. Et les rares initiatives de RD sont restées «étrangères à la pratique industrielle du fait de l’absence de ciblage des politiques éducatives sur les besoins, mais également de l’absence de liens interactifs entre les institutions d’enseignement supérieur et l’industrie, c’est-à-dire l’entreprise». L’échec est donc total, martèlera-t-il.
Déconnexion
«Avec le système LMD, l’université s’est transformée en une usine à fabriquer des diplômés et non pas des compétences. Le LMD version algérienne offre une formation totalement déconnectée de la réalité et des enjeux socio-économiques du pays», ajoutera notre interlocuteur. Son collègue de la même faculté, le professeur d’université et maître de recherche Nadji Khaoua, parle lui aussi d’un système qui a montré ses limites car ayant été imposé pour des considérations politiciennes : «Ce système étranger qui n’est pas du tout adapté au cas d’un pays en construction tel que le nôtre a été imposé par le pouvoir politique aux universités algériennes. Il ne résulte pas d’un débat préalable des universitaires algériens. C’est une raison essentielle de son échec en Algérie.
Cet échec est amplifié par la situation générale de crise structurelle dans laquelle l’on s’enlise depuis les années 1980, et ce, à plusieurs niveaux de l’enseignement universitaire.» A ses yeux, plus d’un indicateur témoignent de la dimension de cette crise, surtout depuis l’imposition par le pouvoir politique du système LMD : «La gestion administrative des structures universitaires ne met pas en avant les compétences et le mérite, mais l’allégeance, les réseaux informels liés au pouvoir et le populisme.
Exemple parmi beaucoup d’autres : les responsables à tous les niveaux sont cooptés, désignés de manière opaque et ne sont jamais redevables d’un bilan publié lorsqu’ils sont déchargés de leurs postes de responsabilité. Ainsi, des doyens et des recteurs restent en poste partout en Algérie plus d’une dizaine, parfois plus d’une vingtaine (oui, je dis bien vingtaine) d’années. Cela n’existe pas ailleurs et surtout pas là où le système LMD a été créé et appliqué».
Le représentant de l’Algérie au Forum euro-méditerranéen des instituts en sciences économiques (Femise) estime qu’en agissant de la sorte avec l’université algérienne, ce pouvoir politique a peut-être ses raisons. Cependant, poursuit-il, «ces raisons politiciennes et populistes ne peuvent pas développer le système d’enseignement universitaire en Algérie en vue de construire une économie productive et moderne et un Etat moderne et pérenne. La responsabilité des enseignants et chercheurs universitaires est certaine dans la perpétuation paroxystique de cette situation.»